Mystère en Thaïlande

Chapitre 1

Avoir quinze ans
Oui, c’est moi! Ingrate, cruelle, méchante! Grit Rottmayer, quatorze ans et trois quarts, intelligente comme pas une, mais pas belle. Plus moche que toutes les autres, c’est inimaginable. Il faut le voir pour le croire. Trop grande, trop maigre, trop plate, trop boutonneuse. Une vraie catastrophe! Comment mes parents ont-ils fait, pour réaliser un dégât pareil? Il m’arrive de mettre des draps sur les miroirs, pour ne plus me voir tellement je me fais peur. Je marche toujours à l’ombre, la tête couverte d’un grand chapeau. J’envie presque les musulmanes qui ont la chance de sortir complètement voilées. Si c’était possible, je ne sortirais que la nuit, comme les chauves-souris, les hiboux et les morts du cimetière. Les chanceux!
Je m’habille en noir, des pieds à la tête, et je me blanchis le visage à la poudre. Avec mes oreilles percées de quatorze anneaux, un pour chacun de mes anniversaires, je fais fureur dans le quartier. Les lèvres mauves ajoutent un peu plus à mon charme troublant. Quand on me voit dans la rue, il se crée une sorte de vide tout autour de moi. On dirait que les gens ont un mouvement de recul, je ne comprends pas tellement pourquoi. Ils devraient être heureux de rencontrer un personnage d’Halloween à longueur d’année! Une morte ambulante! Une folle! Une malade! J’ai entendu tous les compliments du monde. Ça me plaît drôlement! Surtout quand ils disparaissent en courant. C’est agréable, des fois, d’effrayer le monde. Quand on ne peut pas être aimée parce qu’on est mielleuse et rose, on prend ce qui passe. Même la terreur!
La première fois que mon père m’a aperçue, dans ma tenue très «personnalisée», il a eu un choc. Il est très dangereux de faire ainsi peur à son père, surtout quand il vient de toucher la cinquantaine et qu’il a la santé fragile. Je n’y avais pas pensé. Il n’en a pas dormi les deux nuits suivantes, à cause des palpitations. Ma mère se croyait déjà à moitié veuve. Et elle arrivait très mal à le calmer. Pauvre papa! Il vit une pression terrible, à force de brasser des grosses affaires. C’est vrai que ses angoisses en ont fait un des hommes riches de notre petite ville en banlieue d’Amsterdam. Mais des fois, je crois qu’il laisserait tomber quelques millions, pour connaître une vie plus paisible. Je sais bien que je lui rends l’existence impossible, mais je n’y peux rien. C’est mon âge, il paraît! Quand la situation devient trop inquiétante, ma mère le rassure du mieux qu’elle peut:
— Voyons, ne t’en fais pas, mon chéri! C’est un caprice d’adolescente! Au moins, on peut dire qu’elle n’est pas banale!
— J’ai peur de mourir! Tu penses toujours que ce malheur n’arrive qu’aux autres, puis un jour tu découvres que la tête de fantôme que tu as vue dans des films d’horreur habite dans ta propre maison. Que c’est ta propre fille, aimée, entourée, bercée tendrement depuis sa naissance qui…! Soudain, une apparition de l’enfer… On ne méritait pas une chose pareille! Qu’est-ce que les voisins vont dire?…