Résumé
Y a-t-il un moment dans l’existence où l’on commence à vivre davantage ? C’est, sans le savoir, la question que pose Jérôme, 13 ans, qui s’apprête à quitter l’enfance comme on délaisse un vêtement devenu trop étroit. Mais qu’est-ce au juste que vivre davantage ? C’est, peut-être, vivre lorsque le coeur, fatigué de lui-même, se tourne finalement vers les autres parce qu’il pressent qu’au fond il n’y a qu’une seule vie et qu’elle ne dure qu’un temps.
Comme enfant je suis cuit est le premier roman publié par Jean-François Beauchemin. C’est surtout le premier volet d’une trilogie à la fois grave et légère relatant la vie de Jérôme, jeune homme expérimentant sous nos yeux, pour ainsi dire, son entrée dans l’avenir. C’est enfin pour l’auteur le premier d’une longue suite de livres pensifs, sensibles et comme hantés, reflet d’une sorte d’étonnement devant le miracle de la grande aventure humaine.
Jean-François Beauchemin
Devant l’autel c’est ma mère qui la première a dit au curé oui je le veux. C’était le même curé Verbois qui treize ans plus tard a baptisé mon demi-frère mais avec moins de cheveux et plus d’embonpoint. Au mariage il regardait avec des yeux comme ça le ventre de maman qui sous sa modeste robe ressemblait à un cargo à force d’être enceinte de moi à perte de vue. Sacré curé Verbois. C’est toujours dans ces moments-là que sa conscience de serviteur des chrétiens le chatouille le plus. Mais maman qui n’aime pas quand les choses traînent en longueur a répliqué au regard du curé Verbois en disant eh bien quoi c’est pour aujourd’hui ce mariage? Papa de son côté a renchéri en poussant quelques jurons qui sont allés amerrir comme une pluie de cailloux dans l’eau du bénitier. Le curé Verbois s’est bouché les oreilles en grimaçant comme si on lui avait soufflé dans le tympan avec un trombone à coulisse. L’atmosphère devenait tendue mais le cérémonial tenait bon. Moi de l’intérieur j’écoutais tout et j’espérais que mes parents piquent une colère pour mettre un peu d’ambiance dans cette église où ni la chanson des moineaux ni le bruit des tondeuses ne vous parvenaient. Mais papa était trop ivre pour continuer sur sa lancée et maman parce qu’elle souhaitait aller au plus court a dit au curé Verbois de faire vite parce qu’elle avait un rôti sur le feu. C’était assez bien trouvé seulement sur le coup je me suis demandé si pour avoir menti dans une église ma mère n’allait pas être punie par le ciel en accouchant bientôt d’un enfant qui ne lui apporterait que des ennuis. Mais je m’inquiétais pour rien. C’est vrai que depuis ma naissance j’ai causé pas mal de tracas à maman mais je dirais que dans l’ensemble elle est plutôt contente de sa vermine de fils.