Résumé
• Un récit à la fois drôle et touchant, grave et léger comme le sont parfois les enfants.
• Le style et l’imaginaire déployés par l’auteur donne un souffle remarquable à son œuvre, le situant au carrefour des écrivains Émile Ajar, Howard Buten et Daniel Pennac.
• Un roman qui nous fait voir que la vraie vie, c’est peut-être cette portion de l’existence où le cœur, fatigué de lui-même, se tourne vers les autres parce qu’il pressent qu’au fond il n’y a qu’une seule vie et qu’elle ne dure qu’un moment…
À 13 ans, Jérôme s’apprête à quitter l’enfance, étape qui fut pour lui particulièrement épuisante. Jérôme n’est cependant pas encore au bout de ses peines, puisque des événements déterminants tels la naissance de son demi-frère Jules, son amour naissant pour sa voisine Joëlle, l’adieu définitif à son père et la mort de son chien Scotch viendront compliquer davantage le passage déjà difficile de l’enfance à l’adolescence.
Mais cette transition sera également l’occasion pour Jérôme d’une prise de conscience féconde sur les grandes questions de l’existence : la naissance, la mort, l’amour, l’amitié, la religion, le temps qui passe, la vie en société, la famille. Avec l’insolence et la drôlerie de celui qui, au début de sa vie, n’a pas encore été atteint par le sérieux et le protocole des grandes personnes, Jérôme trace lui-même le portrait d’un garçon dont la sensibilité et l’imagination exacerbées laissent deviner toute l’émouvante profondeur de l’enfance.
Jean-François Beauchemin
Mais il Verlaine ne passe pour tel que
parce qu’il est un barbare, un sauvage,
un enfant… Seulement cet enfant a une
musique dans l’âme, et à certains jours
il entend des voix que nul avant lui n’avait
entendues …
Jules Lemaître, Les Contemporains, «Verlaine»
La langue française est difficile. Elle répugne à certaines douceurs. C’est ce que Gide exprime à merveille en disant qu’elle est un piano sans pédales. On ne peut en noyer les accords. Elle fonctionne à sec. Sa musique s’adresse plus à l’âme qu’à l’oreille.
Jean Cocteau, La Difficulté d’être
Chapitre 1
J’ai vécu le plus beau jour de ma vie au baptême de mon demi-frère Jules. À l’église au moment d’inonder le crâne du petit avec l’eau de sa cruche le curé Verbois tournait la tête dans tous les sens à la recherche de papa. J’ai dit vous fatiguez pas monsieur le curé. Mon père ne viendra pas aujourd’hui parce qu’il est mort il y a douze ans. Mais vous pouvez y aller quand même avec votre cruche puisque maman m’a nommé parrain pour compenser.
Le curé Verbois a regardé ma mère en ayant l’air de dire tout cela est-il bien chrétien? Puis il a dit mais enfin cet enfant a bien un père non? Mais en souriant maman lui a fait signe qu’elle ne se souciait pas beaucoup de ce genre de détails et encore moins d’être en règle avec les chrétiens ni même avec Dieu. Ce qu’elle voulait c’était juste un prénom pour son fils. De mon côté comme parrain j’avais donné le titre de marraine à ma voisine Joëlle qui habite au rez-de-chaussée. J’ai dit au curé Verbois la marraine ici présente est d’accord aussi alors paré pour la douche du petit. Joëlle a souri à son tour et ça remplaçait plutôt bien la chorale et l’orgue que maman n’avait pas eu les moyens de se payer pour l’occasion.
Finalement mon demi-frère a tout pris sur le front et le curé Verbois a dit au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit je te baptise Joseph Jérôme Jules Des Ruisseaux. Ensuite le curé Verbois a prononcé un sermon très casse-pieds et autour de nous même quelques statues en ont profité pour piquer une sieste. D’autres levaient les yeux au ciel d’un air abattu et on devinait qu’elles n’attendaient que la fin du sermon. Derrière nous pour attirer les fidèles et parce qu’on était en plein été les portes de l’église avaient été laissées ouvertes. Mais finalement un moineau égaré le vent frais et un bruit de tondeuse ont été les seuls paroissiens à se pointer.
C’est moi qui avais choisi ce prénom Jules en l’honneur de Jules Verne que je ne connais pas mais qui paraît-il est un sacré génie. Ensuite venait mon propre prénom Jérôme que les chrétiens m’obligeaient bêtement à caser au milieu de la liste. Pour le Joseph on n’y pouvait rien non plus autrement on vous excommuniait ou quoi encore.
Pendant le sermon j’ai pensé un peu à Dieu. Je me disais quel culot ce type qui ordonne qu’on vous lance des cailloux si vous ne pensez pas comme lui. Mais personnellement ce qui me tape sur les nerfs ce n’est pas tant que les gens décident à votre place de ce qui est bon pour vous. De toute façon vous avez beau suspendre la photo de Dieu sur tous les murs de la maison vous finissez toujours par faire à votre tête. Non ce qui me tue ce sont les recettes. Toutes ces règles à suivre c’est d’un ennui. La vie est suffisamment barbante comme ça. Si vous en rajoutez en suivant le mode d’emploi dans la Bible et autres manuels de l’usager aussi bien vous jeter tout de suite sous les roues d’un camion.
À la sortie sur le parvis de l’église le ciel était bleu et Joëlle a lancé des confettis sur nos têtes. Maman et elle ont ri beaucoup et c’était joli à voir. Le curé Verbois nous souriait à tous les quatre et j’étais si heureux que je lui ai dit en lui secouant la main vos histoires de chrétiens c’est d’un ennui mais allez bonne journée quand même.