Résumé
Du cours classique aux premiers voyages en auto-stop en Europe, de ses années au sein de Beau Dommage jusqu’à la folle aventure du magazine CROC, Pierre Huet se raconte en une série de récits à la fois humoristiques et émouvants. Du coup, l’auteur de Mes blues passent pu dans’ porte, du Blues d’la Métropole, de 23 décembre et d’autres chansons parmi les plus célèbres du répertoire québécois esquisse non seulement son propre portrait mais peut-être aussi celui de sa génération. Comme bien des Québécois, il a vu sa vie transformée à jamais en 1967, « l’année de l’amour, l’année de l’Expo ». Révéler la petite histoire derrière les chansons qu’il a écrites devient aussi chez Pierre Huet un prétexte pour explorer les mystères de l’inspiration et les coulisses de l’industrie de la musique.
Pierre Huet
Né à Montréal en 1949, Pierre Huet a fait des études classiques et obtenu un diplôme universitaire en histoire de l’art...
Né à Montréal en 1949, Pierre Huet a fait des études classiques et obtenu un diplôme universitaire en histoire de l’art avant de bifurquer vers la...
Né à Montréal en 1949, Pierre Huet a fait des études classiques et obtenu un diplôme universitaire en histoire de l’art avant de bifurquer vers la chanson. Auteur de nombreux textes...
Né à Montréal en 1949, Pierre Huet a fait des études classiques et obtenu un diplôme universitaire en histoire de l’art avant de bifurquer vers la chanson. Auteur de nombreux textes pour Beau Dommage, Offenbach et Paul Piché, il a été rédacteur en chef du magazine humoristique CROC. Il continue d’écrire pour la scène et la télévision. En 67 tout était beau − Chansons et ...
Né à Montréal en 1949, Pierre Huet a fait des études classiques et obtenu un diplôme universitaire en histoire de l’art avant de bifurquer vers la chanson. Auteur de nombreux textes pour Beau Dommage, Offenbach et Paul Piché, il a été rédacteur en chef du magazine humoristique CROC. Il continue d’écrire pour la scène et la...
Né à Montréal en 1949, Pierre Huet a fait des études classiques et obtenu un diplôme universitaire en histoire de l’art avant de bifurquer vers la chanson. Auteur de nombreux textes pour Beau Dommage, Offenbach et Paul Piché, il a été rédacteur en chef du magazine humoristique CROC. Il continue d’écrire pour la scène et la télévision. En 67 tout était beau − Chansons et souvenirs est...
Le géant Beaupré représente ce que nous appelons en riant la période brechtienne de Beau Dommage, période qui est constituée en tout et pour tout de cette unique chanson. À cette époque, nous écoutions beaucoup les œuvres de Brecht mises en musique par Kurt Weill, en particulier Mahagonny et L’Opéra de quat’sous. Je me souviens que je récupérais alors d’un grave accident de voiture et que, pour passer le temps, je lisais la version romanesque de L’Opéra de quat’sous. Sans doute que je m’identifiais aux vrais et faux éclopés qu’on y trouvait.
Parlant d’éclopé, je crois que c’est le caractère un peu étrange de mon texte évoquant le géant Beaupré qui a poussé Robert à écrire cette mélodie tout aussi étrange, mais avec un arrangement séduisant. Je me souviens qu’à l’époque du 4606, De Lorimier, où Michel Rivard et moi habitions encore, une prof de musique nous avait téléphoné – en pleine ascension fulgurante vers la gloire, nos noms étaient quand même dans l’annuaire téléphonique – pour venir à la maison nous interviewer avec quelques-unes de ses étudiantes. Elle nous avait gentiment fait le reproche d’avoir commis une faute d’orthographe sur notre première pochette, c’est-à-dire d’avoir écrit « clavinette » au lieu de « clarinette ». Michel lui avait tout aussi gentiment expliqué que ce n’était pas une erreur mais bien le nom de cet instrument un peu bizarre qui donne au Géant Beaupré sa sonorité si particulière. En fait, il y a deux erreurs sur la pochette de ce disque. La première, encore courante de nos jours, est d’avoir écrit « Marylin Monroe » au lieu de « Marilyn » dans La complainte du phoque en Alaska. La deuxième, beaucoup plus impardonnable,
est d’avoir qualifié Camille Andréa de « bonhomme » alors qu’il s’agit en réalité d’une femme. Mais ça, je vous l’ai déjà dit.
Et puisqu’il est question du Géant Beaupré, j’ai souvent raconté l’histoire à l’origine de cette chanson et je vais la raconter une fois de plus. J’ai toujours aimé les personnages un peu bizarres. J’ai été marqué dans ma jeunesse par le visionnement du film Freaks de Tod Browning, qui se déroule sous la grande tente d’un cirque et qui met en vedette, si on peut dire, les erreurs de la nature – oui, on utilisait cette expression à l’époque – comme la femme à barbe ou l’homme-pingouin. C’est donc dire que, lorsque mon père est rentré de l’Université de Montréal en me parlant du géant Beaupré, j’ai été immédiatement fasciné. Petite précision : quand je parle de mon père rentrant de l’université, je ne veux pas dire qu’il revenait d’y défendre brillamment son doctorat en aéronautique. Non, il y était – temporairement – gardien de nuit. Il faut savoir que mon père travaillait dans l’avionnerie, une industrie qui, à l’époque comme aujourd’hui, avait ses hauts et ses bas. Ajoutez à cela chez mon père une légère propension à boire et vous avez comme résultat de longues périodes de chômage.
Mon père s’était donc retrouvé, pour ces raisons, gardien de nuit à l’Université de Montréal.
Dans le cadre de sa tournée nocturne, il devait jeter un coup d’oeil sur la dépouille du semi-légendaire géant Beaupré. Un brin d’histoire pour les plus jeunes : le géant Beaupré, comme son nom l’indique, est un Canadien français de huit pieds trois (à son époque, on était géant en pieds, pas en mètres), légèrement défiguré après avoir reçu un coup de sabot de cheval en pleine face, et qui gagnait sa vie en s’exhibant dans des foires. À sa mort précoce, ce qui est souvent le lot des personnes de grande taille, il avait carrément été éviscéré, empaillé puis trempé dans le formol pour ensuite avoir… une deuxième carrière dans… les mêmes foires. Comble de l’ignominie, il avait été oublié dans un entrepôt quand le cirque ambulant qui l’utilisait (j’allais écrire « employait ») a fait faillite. Un jour, quelqu’un était tombé sur son encombrante dépouille dans un entrepôt abandonné et l’avait offerte à l’Université de Montréal qui, embêtée et ne sachant trop qu’en faire, l’avait inscrite – attention aux mauvaises blagues ! – dans la visite guidée qu’on pouvait faire de ses locaux le dimanche après-midi. Par la suite, les autorités de l’Université avaient fini par reléguer le pauvre géant dans un placard à balais fermé à clef sous l’escalier de l’édifice principal.
Ironie du sort, je me suis retrouvé quelques années plus tard moi-même employé, à titre d’animateur culturel, à la même université. On peut dire que cela a été mon premier travail straight. J’aurais pu tomber plus mal. Ça m’a permis, entre autres, d’y organiser pendant quatre ans le Festival international de la bande dessinée de Montréal.
Ce monde étant bien petit, c’est ainsi que je me suis un jour trouvé devant la dépouille du géant en compagnie de la dessinatrice française Claire Bretécher, qui connaissait ma chanson et qui voulait voir la chose en personne. Détail : quoi qu’en dise le texte de ma chanson, ce n’était pas un squelette mais bien une momie jaune cire, au nez cassé et avec une énorme cicatrice de haut en bas de la poitrine. Le peu qu’il lui restait de sa dignité était caché par un pagne. Je m’étais permis une licence poétique parce que le mot « squelette » sonne mieux que « momie ».
L’histoire de la déchéance du pauvre Beaupré s’est quand même un jour terminée quand on lui a découvert de lointains descendants dans un coin du Manitoba, je crois. Et une fois encore, il y a eu cafouillage : on l’a incinéré, mais il y a eu dispute quant à savoir qui paierait les frais de son dernier voyage. Car, même réduit en cendres, c’est lourd, un géant.
Je me suis toujours demandé ce qui poussait mon père à aller vérifier avec un grand professionnalisme que Beaupré était encore dans son cagibi. Peut-être allait-il discrètement boire une bière en sa compagnie…
Un dernier détail : à l’époque où je suis devenu rédacteur en chef du magazine Croc, soit autour du troisième numéro, j’écrivais tellement de pages pour le magazine que j’avais dû prendre deux ou trois pseudonymes. Ainsi, j’étais Claude N. Counters dans la chronique des choses étranges ; Tommy Daoust – un odieux calembour se référant à l’album Tommy du groupe The Who – quand je parlais de musique ; et, quand je dessinais (car je dessinais en plus !), c’était sous le pseudonyme de… Jean Beaupré, une inside joke autoréférentielle…